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142 | Le péril jaune est en nous
d’une légende alarmiste : « La guerre qui ensanglante l’Extrême-Orient est-elle
le prélude d’événements plus graves encore ? On peut le redouter, si elle doit
avoir pour conséquence de réveiller de leur torpeur séculaire quatre cents mil-
lions de Chinois. Si cette masse formidable, pénétrée par les idées occidentales,
devait accomplir des progrès aussi rapides que ceux réalisés par le Japon, elle
pèserait d’un poids énorme sur les destinées du monde. LE PÉRIL JAUNE, que
notre dessinateur évoque en une saisissante allégorie, est peut-être à la veille de
40
devenir une réalité » . Le caricaturiste Orens nous montre Mutsu-Hito sous les
traits d’un redoutable apache tenant un poignard. Après le coup de Tanger du 31
mars 1905, et pendant la Grande Guerre, c’est Guillaume II qui sera figuré en
apache armé d’un surin, nouvelle illustration du transfert des images du péril
jaune au péril allemand. Si dans la caricature, le soldat japonais est plus petit
41
que son homologue russe , c’est à cause de sa petite taille associée à un certain
mépris des Français et des Russes pour ce minuscule Japon qui s’agite face à
l’immense empire moscovite.
Dans la presse, on écrit que la civilisation japonaise « est toute en façade, plus
apparente que réelle. Le Japonais est resté Japonais, par la raison que le tempé-
rament d’un peuple, d’une race, ne se trouve pas modifié du fait que l’élite de ce
peuple, de cette race est allée étudier à l’étranger, a adopté un costume nouveau
et s’est armée comme l’adversaire à combattre (...). Le cerveau japonais est
resté ce qu’il a toujours été au cours des siècles antérieurs. C’est toujours un
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cerveau d’Asiatique » . La stature colossale du Russe renforcée par l’immense
étendue géographique du territoire qui offre un réservoir inépuisable d’hommes
est une dimension qui manque totalement au Japon, car derrière le soldat mos-
covite il y a « tout l’empire ». On voit qu’en plus de la taille physique, les no-
tions historique de temps (on connaît mieux l’histoire de la Russie vainqueur de
Napoléon, que celle de leur adversaire) et géographique d’espace (l’immensité
du territoire) participent à fortifier l’impression de puissance du moujik. En
1904, on commet la même erreur qu’en 1894, ne considérer le Japon qu’à tra-
vers « un verre diminuant ». En Russie, l’opinion publique est indignée par la
traîtrise du Japon, et dans un enthousiasme unanime, la foule manifeste son
courroux contre l’arrogance de l’agresseur qualifié de « macaque ». C. Laurent
précise que dans l’imaginaire des Russes, le Japon est synonyme de « fleurs,
paravents, île infime, poupées, singes, imitateurs, rien de sérieux, pas
43
d’initiative » . O. Alexinsky écrit que les journaux conservateurs russes « se
vantèrent que le Japon disparaîtrait si chaque Russe y jetait seulement sa cas-
o
40 Le Grand Illustré, n 11, du 29 mai 1904.
41 Série La Flèche, n 2, par Marmonier, 1904, lithographie aquarellée.
o
42 L'Illustration, 13 février 1904, article intitulé « La civilisation japonaise ».
43 C. Laurent, La Revue de Paris, 15 juillet 1904.
RIMD – n o 3 – 2012
d’une légende alarmiste : « La guerre qui ensanglante l’Extrême-Orient est-elle
le prélude d’événements plus graves encore ? On peut le redouter, si elle doit
avoir pour conséquence de réveiller de leur torpeur séculaire quatre cents mil-
lions de Chinois. Si cette masse formidable, pénétrée par les idées occidentales,
devait accomplir des progrès aussi rapides que ceux réalisés par le Japon, elle
pèserait d’un poids énorme sur les destinées du monde. LE PÉRIL JAUNE, que
notre dessinateur évoque en une saisissante allégorie, est peut-être à la veille de
40
devenir une réalité » . Le caricaturiste Orens nous montre Mutsu-Hito sous les
traits d’un redoutable apache tenant un poignard. Après le coup de Tanger du 31
mars 1905, et pendant la Grande Guerre, c’est Guillaume II qui sera figuré en
apache armé d’un surin, nouvelle illustration du transfert des images du péril
jaune au péril allemand. Si dans la caricature, le soldat japonais est plus petit
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que son homologue russe , c’est à cause de sa petite taille associée à un certain
mépris des Français et des Russes pour ce minuscule Japon qui s’agite face à
l’immense empire moscovite.
Dans la presse, on écrit que la civilisation japonaise « est toute en façade, plus
apparente que réelle. Le Japonais est resté Japonais, par la raison que le tempé-
rament d’un peuple, d’une race, ne se trouve pas modifié du fait que l’élite de ce
peuple, de cette race est allée étudier à l’étranger, a adopté un costume nouveau
et s’est armée comme l’adversaire à combattre (...). Le cerveau japonais est
resté ce qu’il a toujours été au cours des siècles antérieurs. C’est toujours un
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cerveau d’Asiatique » . La stature colossale du Russe renforcée par l’immense
étendue géographique du territoire qui offre un réservoir inépuisable d’hommes
est une dimension qui manque totalement au Japon, car derrière le soldat mos-
covite il y a « tout l’empire ». On voit qu’en plus de la taille physique, les no-
tions historique de temps (on connaît mieux l’histoire de la Russie vainqueur de
Napoléon, que celle de leur adversaire) et géographique d’espace (l’immensité
du territoire) participent à fortifier l’impression de puissance du moujik. En
1904, on commet la même erreur qu’en 1894, ne considérer le Japon qu’à tra-
vers « un verre diminuant ». En Russie, l’opinion publique est indignée par la
traîtrise du Japon, et dans un enthousiasme unanime, la foule manifeste son
courroux contre l’arrogance de l’agresseur qualifié de « macaque ». C. Laurent
précise que dans l’imaginaire des Russes, le Japon est synonyme de « fleurs,
paravents, île infime, poupées, singes, imitateurs, rien de sérieux, pas
43
d’initiative » . O. Alexinsky écrit que les journaux conservateurs russes « se
vantèrent que le Japon disparaîtrait si chaque Russe y jetait seulement sa cas-
o
40 Le Grand Illustré, n 11, du 29 mai 1904.
41 Série La Flèche, n 2, par Marmonier, 1904, lithographie aquarellée.
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42 L'Illustration, 13 février 1904, article intitulé « La civilisation japonaise ».
43 C. Laurent, La Revue de Paris, 15 juillet 1904.
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