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138 | Le péril jaune est en nous
VI. Opinions chinoises sur les barbares d’Occident
e
Au tournant du XX siècle, dans les salons parisiens, le Chinois est au centre
des conversations. Certains le prennent pour « le plus heureux, le plus sage et
le plus modéré des hommes ». D’autres, tout aussi avisés, pour « le plus
vieillot, le plus incohérent, le plus cocasse des hommes ». On en fait alterna-
tivement un sage ou un imbécile. Pour d’autres encore, il n’est « dans notre
chimie sociale, ni acide, ni alcalin ». C’est-à-dire qu’il est tout simplement
« neutre ». En observant la question par l’autre bout de la lorgnette, les
choses sont plus claires. Pour les Chinois, les Européens ne sont que des
barbares, des diables des autres mondes, des démons de l’extérieur. Harfeld
31
expose les griefs des célestes : aggravation de la misère de certains artisans,
diminution des revenus des mandarins, abrutissement de la race par l’opium,
humiliations et abus résultant de l’extraterritorialité, lourdes charges impo-
sées par les concessions étrangères, mépris des coutumes, mauvais traitement
des frères jaunes en Amérique, en Australie et ailleurs, langage insultant des
journaux et livres des Occidentaux, extraction des yeux des enfants chinois
pour fabriquer des médicaments, colère du dragon blessé par les carrières et
tranchées creusées dans le sol. Enfin, pour certains, les grands pieds des bar-
bares montrent de toute évidence que leur race est moins fine et moins pure
que celle des Asiatiques. Dans la caricature chinoise qui est souvent antichré-
tienne, on illustre les châtiments qu’on fait subir aux diables étrangers, la
mise au feu de leurs livres de messe et de leurs bibles, et on représente les
missionnaires arrachant les yeux aux convertis chinois. Les missionnaires,
Jésus et les étrangers sont animalisés sous la forme de chèvres et de pour-
ceaux que l’on transperce de flèches et de couteaux, et dont on cloue les têtes
aux portes des villes alors que leur chair est vendue sur les marchés.
VII. Le péril jaune selon Edmond Théry
En 1901, alors que la guerre s’achève en Chine, Edmond Théry publie un ou-
vrage intitulé Le péril jaune. Pour l’auteur, le péril en question n’est pas « un
péril militaire dans le genre de celui que les hordes de Gengis-Khan et de Ti-
mour-Leng ont fait courir à nos ancêtres ; il est plus grave en ce sens que
l’Europe ne pourra l’éviter ». Il s’agit en effet d’un péril essentiellement éco-
nomique, car, sous l’influence énergique des Japonais, « les Chinois devien-
dront très vite des producteurs de premier ordre », si bien que la Chine « de-
viendra rapidement une colossale usine de contrefaçon européenne, et que les
Chinois n’échangeront leurs produits d’imitation fabriqués à vil prix, que
31 F.-J. Harfeld, Opinions chinoises sur les barbares d’Occident, Plon-Nourrit, 1909.
RIMD – n o 3 – 2012
VI. Opinions chinoises sur les barbares d’Occident
e
Au tournant du XX siècle, dans les salons parisiens, le Chinois est au centre
des conversations. Certains le prennent pour « le plus heureux, le plus sage et
le plus modéré des hommes ». D’autres, tout aussi avisés, pour « le plus
vieillot, le plus incohérent, le plus cocasse des hommes ». On en fait alterna-
tivement un sage ou un imbécile. Pour d’autres encore, il n’est « dans notre
chimie sociale, ni acide, ni alcalin ». C’est-à-dire qu’il est tout simplement
« neutre ». En observant la question par l’autre bout de la lorgnette, les
choses sont plus claires. Pour les Chinois, les Européens ne sont que des
barbares, des diables des autres mondes, des démons de l’extérieur. Harfeld
31
expose les griefs des célestes : aggravation de la misère de certains artisans,
diminution des revenus des mandarins, abrutissement de la race par l’opium,
humiliations et abus résultant de l’extraterritorialité, lourdes charges impo-
sées par les concessions étrangères, mépris des coutumes, mauvais traitement
des frères jaunes en Amérique, en Australie et ailleurs, langage insultant des
journaux et livres des Occidentaux, extraction des yeux des enfants chinois
pour fabriquer des médicaments, colère du dragon blessé par les carrières et
tranchées creusées dans le sol. Enfin, pour certains, les grands pieds des bar-
bares montrent de toute évidence que leur race est moins fine et moins pure
que celle des Asiatiques. Dans la caricature chinoise qui est souvent antichré-
tienne, on illustre les châtiments qu’on fait subir aux diables étrangers, la
mise au feu de leurs livres de messe et de leurs bibles, et on représente les
missionnaires arrachant les yeux aux convertis chinois. Les missionnaires,
Jésus et les étrangers sont animalisés sous la forme de chèvres et de pour-
ceaux que l’on transperce de flèches et de couteaux, et dont on cloue les têtes
aux portes des villes alors que leur chair est vendue sur les marchés.
VII. Le péril jaune selon Edmond Théry
En 1901, alors que la guerre s’achève en Chine, Edmond Théry publie un ou-
vrage intitulé Le péril jaune. Pour l’auteur, le péril en question n’est pas « un
péril militaire dans le genre de celui que les hordes de Gengis-Khan et de Ti-
mour-Leng ont fait courir à nos ancêtres ; il est plus grave en ce sens que
l’Europe ne pourra l’éviter ». Il s’agit en effet d’un péril essentiellement éco-
nomique, car, sous l’influence énergique des Japonais, « les Chinois devien-
dront très vite des producteurs de premier ordre », si bien que la Chine « de-
viendra rapidement une colossale usine de contrefaçon européenne, et que les
Chinois n’échangeront leurs produits d’imitation fabriqués à vil prix, que
31 F.-J. Harfeld, Opinions chinoises sur les barbares d’Occident, Plon-Nourrit, 1909.
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