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136 | Le péril jaune est en nous
mêmes mœurs, mêmes arts, mêmes dieux, même civilisation vieillotte et
falote ? L’un et l’autre abhorraient les Européens, martyrisaient les mission-
naires. Il y avait pourtant, une différence, à l’avantage de la Chine : on y
entrait, les gens qui avaient beaucoup lu ou beaucoup navigué raisonnaient
de cet empire ; ceux-là mêmes ignoraient tout du Japon ; il demeurait impé-
nétrable, hermétiquement fermé aux étrangers. Et l’on se croyait très savant
quand on pouvait dire aux petits camarades : — Mais non, ce n’est pas un
Japonais ; c’est un Chinois : tu vois bien qu’il a une queue ; les Japonais n’en
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ont pas » .
Dans la presse française, on évoque le péril jaune : « tandis que la Russie
s’efforce de conserver la Chine avec ses préjugés, ses tares, ses faiblesses,
tout ce qui en fait une nation faible et impuissante, l’Angleterre suscite et
encourage les réformateurs (…), et lui offre des instructeurs et des armes ».
L’Angleterre prépare le péril jaune, fléau qui menace « l’Europe inconsciente
ou complice ». Un dessin nous montre « La terreur jaune » figurée mainte-
nant sous les traits d’un dragon affublé d’une tête de mandarin qui tire une
langue en forme de pointe de flèche. C’est, le réveil du « dragon qu’on
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croyait mort » nous enseigne la légende . En 1906, après le coup de Tanger
du 31 mars 1905, et la conférence d’Algésiras sur le Maroc imposée par
Berlin, on craint en France une guerre avec la puissante Allemagne. Le péril
allemand commence à éclipser le péril jaune, et l’on représente à son tour
Guillaume II avec une langue en pointe de flèche lui sortant de la bouche,
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illustration du transfert des clichés d’un péril à l’autre . Mais en 1900, dans
le dessin satirique, les rivalités entre les puissances qui se disputent le gâteau
27
chinois restent au centre du débat caricatural . Le maniement de la four-
o
24 M. de Voguë¸ Les Annales politiques et littéraires, n 1074, 24 janvier 1904.
25 Dessin de J. Gould, juillet 1900, reproduit dans Chinois d’Europe et Chinois d’Asie de
John Grand-Carteret.
26 O. Denizard, Burin satirique, 1906, eau-forte tirée à 250 exemplaires.
27 Le Supplément illustré du Petit Journal du dimanche 16 janvier 1898, dessin de H.
Meyer intitulé En Chine. Le gâteau des Rois et des Empereurs. Ici, devant un mandarin
qui lève les bras au ciel, l’Angleterre, l’Allemagne, la Russie la France et le Japon sont
attablés devant le gâteau chinois. Tandis que Guillaume II qui regarde la reine Victoria en
faisant les gros yeux, découpe sa part marquée « Kiao-Tchéou », Nicolas II derrière lequel
se tient Marianne, contemple avec intérêt son morceau « Port-Arthur ». Le Japon qui a
posé son sabre sur la table, attend son tour pour se servir. Page 23, un texte commente ce
dessin en précisant que la thèse du péril jaune « est bonne à soutenir quand l’intérêt
personnel est en jeu ; c’est ce qu’a compris merveilleusement l’empereur d’Allemagne
habile à profiter des circonstances (…). Le Japon estime que ses victoires récentes lui
donnent droit également à quelque chose, de sorte que tout le monde se précipite sur le
gâteau chinois des rois et des empereurs. Comment le festin se terminera-t-il ? C’est ce
qu’il est difficile d’établir à l’heure qu’il est. L’Europe est forte, mais la diplomatie
chinoise est rusée. Un choc entre l’Allemagne et l’Angleterre un jour ou l’autre est
RIMD – n o 3 – 2012
mêmes mœurs, mêmes arts, mêmes dieux, même civilisation vieillotte et
falote ? L’un et l’autre abhorraient les Européens, martyrisaient les mission-
naires. Il y avait pourtant, une différence, à l’avantage de la Chine : on y
entrait, les gens qui avaient beaucoup lu ou beaucoup navigué raisonnaient
de cet empire ; ceux-là mêmes ignoraient tout du Japon ; il demeurait impé-
nétrable, hermétiquement fermé aux étrangers. Et l’on se croyait très savant
quand on pouvait dire aux petits camarades : — Mais non, ce n’est pas un
Japonais ; c’est un Chinois : tu vois bien qu’il a une queue ; les Japonais n’en
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ont pas » .
Dans la presse française, on évoque le péril jaune : « tandis que la Russie
s’efforce de conserver la Chine avec ses préjugés, ses tares, ses faiblesses,
tout ce qui en fait une nation faible et impuissante, l’Angleterre suscite et
encourage les réformateurs (…), et lui offre des instructeurs et des armes ».
L’Angleterre prépare le péril jaune, fléau qui menace « l’Europe inconsciente
ou complice ». Un dessin nous montre « La terreur jaune » figurée mainte-
nant sous les traits d’un dragon affublé d’une tête de mandarin qui tire une
langue en forme de pointe de flèche. C’est, le réveil du « dragon qu’on
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croyait mort » nous enseigne la légende . En 1906, après le coup de Tanger
du 31 mars 1905, et la conférence d’Algésiras sur le Maroc imposée par
Berlin, on craint en France une guerre avec la puissante Allemagne. Le péril
allemand commence à éclipser le péril jaune, et l’on représente à son tour
Guillaume II avec une langue en pointe de flèche lui sortant de la bouche,
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illustration du transfert des clichés d’un péril à l’autre . Mais en 1900, dans
le dessin satirique, les rivalités entre les puissances qui se disputent le gâteau
27
chinois restent au centre du débat caricatural . Le maniement de la four-
o
24 M. de Voguë¸ Les Annales politiques et littéraires, n 1074, 24 janvier 1904.
25 Dessin de J. Gould, juillet 1900, reproduit dans Chinois d’Europe et Chinois d’Asie de
John Grand-Carteret.
26 O. Denizard, Burin satirique, 1906, eau-forte tirée à 250 exemplaires.
27 Le Supplément illustré du Petit Journal du dimanche 16 janvier 1898, dessin de H.
Meyer intitulé En Chine. Le gâteau des Rois et des Empereurs. Ici, devant un mandarin
qui lève les bras au ciel, l’Angleterre, l’Allemagne, la Russie la France et le Japon sont
attablés devant le gâteau chinois. Tandis que Guillaume II qui regarde la reine Victoria en
faisant les gros yeux, découpe sa part marquée « Kiao-Tchéou », Nicolas II derrière lequel
se tient Marianne, contemple avec intérêt son morceau « Port-Arthur ». Le Japon qui a
posé son sabre sur la table, attend son tour pour se servir. Page 23, un texte commente ce
dessin en précisant que la thèse du péril jaune « est bonne à soutenir quand l’intérêt
personnel est en jeu ; c’est ce qu’a compris merveilleusement l’empereur d’Allemagne
habile à profiter des circonstances (…). Le Japon estime que ses victoires récentes lui
donnent droit également à quelque chose, de sorte que tout le monde se précipite sur le
gâteau chinois des rois et des empereurs. Comment le festin se terminera-t-il ? C’est ce
qu’il est difficile d’établir à l’heure qu’il est. L’Europe est forte, mais la diplomatie
chinoise est rusée. Un choc entre l’Allemagne et l’Angleterre un jour ou l’autre est
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