Page 132 - RIMD_2012_3
P. 132
132 | Le péril jaune est en nous
vembre 1897, deux missionnaires allemands sont assassinés, Guillaume II qui
tient enfin un prétexte à une intervention s’écrie : « Maintenant ou jamais, ils
sentiront le gant de fer allemand peser sur la nuque ». Bülow regrette l’effet
nuisible de cette péroraison qui donne une fausse image du Kaiser : « Ce poing
ganté de fer devait revenir pendant des années dans toutes les attaques de la
presse étrangère et faire aux yeux du monde une espèce de Gengis-Khan de
Guillaume II, alors qu’au fond c’était un brave homme, débonnaire et nulle-
ment belliqueux ». L’image du gant de fer allemand s’impose dans la carica-
ture jusqu’en 1914, offrant aux artistes un cliché très efficace pour traduire
d’un simple coup de crayon la brutalité allemande. Si, avec son dessin sur le
péril jaune, Guillaume II en est l’inventeur, avec cette image du poing ganté de
fer, il est aussi pour les détracteurs de l’Allemagne, l’inventeur du péril germa-
nique. Le 14 novembre, les marins de l’amiral von Diedrichs débarquent à
Kiao-Tchéou qui est occupé sans combat. Le 6 mars 1898, la Chine cède à
bail, à l’Allemagne, pour quatre-vingt-dix-neuf ans, la rade et le territoire envi-
ronnant. Ce coup d’éclat incite Nicolas II à aller de l’avant. Un détachement de
l’escadre russe du Pacifique jette l’ancre devant Port-Arthur. Le 27 mars 1898,
la Russie obtient le droit d’occuper Ta-Lieng-Wan et Port-Arthur, et de relier
cette ville par voie ferrée à Kharbin par Moukden et Liao-Yang. Prenant cons-
cience que les grandes puissances ne les ont obligés à lâcher prise à Port-
Arthur que pour s’y établir à leur place, les Japonais, profondément ulcérés, ne
pensent plus qu’à reprendre cette place forte aux Russes, et c’est toute
l’activité nationale du peuple nippon qui se focalise sur ce but suprême. Après
l’Allemagne et la Russie, la France obtient la concession du chemin de fer du
Yunnan, le territoire de Kouang-Tchéou-Wan au sud de Canton ainsi qu’un
agrandissement de sa concession à Shanghai, et la Grande-Bretagne qui avait
pourtant pris le parti du Japon, parvient à arracher la cession à bail du port de
Weï-Haï-Weï à l’entrée du golfe de Tche-di. Pour Londres, il s’agit de rétablir
l’équilibre des influences étrangères en Extrême-Orient et de rassurer le gou-
vernement de Pékin sur le péril d’une prépondérance exclusivement russe.
Pour la Grande-Bretagne, le péril jaune n’existe pas ; le vrai péril, c’est le péril
russe qui trouve sa solution dans le dépècement équilibré du « cadavre jaune ».
Ce sont les Chinois qui auraient pu évoquer le péril blanc. Élisée Reclus écrit :
« Il y eut péril blanc pour les peuples d’Asie ; il y aura donc péril jaune pour
les peuples d’Europe. Le danger grandit forcément en proportion même des
injustices, des cruautés, des vexations de toute espèce dont l’oppression
blanche s’est rendue coupable. Tous les crimes des races qui se disent elles-
19
mêmes supérieures auront fatalement leur lendemain de vengeance » .
er
19 E. Reclus, « À propos de la guerre d'Extrême-Orient », La Revue, 1 avril 1904.
RIMD – n o 3 – 2012
vembre 1897, deux missionnaires allemands sont assassinés, Guillaume II qui
tient enfin un prétexte à une intervention s’écrie : « Maintenant ou jamais, ils
sentiront le gant de fer allemand peser sur la nuque ». Bülow regrette l’effet
nuisible de cette péroraison qui donne une fausse image du Kaiser : « Ce poing
ganté de fer devait revenir pendant des années dans toutes les attaques de la
presse étrangère et faire aux yeux du monde une espèce de Gengis-Khan de
Guillaume II, alors qu’au fond c’était un brave homme, débonnaire et nulle-
ment belliqueux ». L’image du gant de fer allemand s’impose dans la carica-
ture jusqu’en 1914, offrant aux artistes un cliché très efficace pour traduire
d’un simple coup de crayon la brutalité allemande. Si, avec son dessin sur le
péril jaune, Guillaume II en est l’inventeur, avec cette image du poing ganté de
fer, il est aussi pour les détracteurs de l’Allemagne, l’inventeur du péril germa-
nique. Le 14 novembre, les marins de l’amiral von Diedrichs débarquent à
Kiao-Tchéou qui est occupé sans combat. Le 6 mars 1898, la Chine cède à
bail, à l’Allemagne, pour quatre-vingt-dix-neuf ans, la rade et le territoire envi-
ronnant. Ce coup d’éclat incite Nicolas II à aller de l’avant. Un détachement de
l’escadre russe du Pacifique jette l’ancre devant Port-Arthur. Le 27 mars 1898,
la Russie obtient le droit d’occuper Ta-Lieng-Wan et Port-Arthur, et de relier
cette ville par voie ferrée à Kharbin par Moukden et Liao-Yang. Prenant cons-
cience que les grandes puissances ne les ont obligés à lâcher prise à Port-
Arthur que pour s’y établir à leur place, les Japonais, profondément ulcérés, ne
pensent plus qu’à reprendre cette place forte aux Russes, et c’est toute
l’activité nationale du peuple nippon qui se focalise sur ce but suprême. Après
l’Allemagne et la Russie, la France obtient la concession du chemin de fer du
Yunnan, le territoire de Kouang-Tchéou-Wan au sud de Canton ainsi qu’un
agrandissement de sa concession à Shanghai, et la Grande-Bretagne qui avait
pourtant pris le parti du Japon, parvient à arracher la cession à bail du port de
Weï-Haï-Weï à l’entrée du golfe de Tche-di. Pour Londres, il s’agit de rétablir
l’équilibre des influences étrangères en Extrême-Orient et de rassurer le gou-
vernement de Pékin sur le péril d’une prépondérance exclusivement russe.
Pour la Grande-Bretagne, le péril jaune n’existe pas ; le vrai péril, c’est le péril
russe qui trouve sa solution dans le dépècement équilibré du « cadavre jaune ».
Ce sont les Chinois qui auraient pu évoquer le péril blanc. Élisée Reclus écrit :
« Il y eut péril blanc pour les peuples d’Asie ; il y aura donc péril jaune pour
les peuples d’Europe. Le danger grandit forcément en proportion même des
injustices, des cruautés, des vexations de toute espèce dont l’oppression
blanche s’est rendue coupable. Tous les crimes des races qui se disent elles-
19
mêmes supérieures auront fatalement leur lendemain de vengeance » .
er
19 E. Reclus, « À propos de la guerre d'Extrême-Orient », La Revue, 1 avril 1904.
RIMD – n o 3 – 2012

