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Revue de l’Institut du Monde et du Développement | 127
l’Angleterre. Les conflits à venir vont donc se cristalliser dans ces régions du
monde. L’Angleterre, la Russie, l’Allemagne, la France et la Hollande y
possèdent déjà des comptoirs. Mais d’autres acteurs, dont certains pays
émergents considérés à tort comme mineurs, vont entrer en scène les armes à
la main, ouvrant de nouveaux champs de bataille pour une redistribution des
cartes. Les origines de ces affrontements qui inaugurent la naissance du péril
jaune sont à rechercher dans la guerre sino-japonaise de 1894-1895, et dans
l’intervention des grandes puissances européennes lors du règlement du con-
flit.
I. Une amusette à ranger avec les bibelots de Madame Chrysanthème ?
En 1894, à la suite d’une révolte en Corée, le Japon y débarque des troupes
qui marchent sur Séoul. Ce pays convoité pour ses richesses naturelles étant
sous la suzeraineté chinoise, le vice-roi du Petchili, Li-Hung-Chang qui re-
présente la Chine, expédie une escadre commandée par l’amiral Ting. En
fait, on s’inquiète davantage des rivalités anglo-russes dans la région que du
sort des deux belligérants, la Chine et le Japon étant considérés comme des
puissances négligeables. En effet, à la poussée du peuple russe qui déborde
sur l’Extrême-Orient, et à ses ambitions soutenues par une action métho-
dique, l’Angleterre oppose des ambitions et des forces similaires. La lutte
entre la baleine (l’Angleterre, puissance maritime) et l’ours (la Russie, puis-
sance continentale), qui s’est transposée du Bosphore en Afghanistan et au
Pamir, se déroule désormais sur l’immense Empire chinois. Le chemin de fer
devient un enjeu primordial, car il est l’indispensable vecteur de la pénétra-
tion commerciale. Au projet russe d’un Transsibérien de Moscou à Pékin
s’oppose le projet anglais d’une ligne joignant Calcutta à Shanghai. En 1894,
en se référant à l’étendue géographique considérable du Céleste Empire avec
ses 400 millions d’habitants par rapport à celle minuscule du Japon dix fois
moins peuplé, on se forge une idée fausse du plus apte à remporter la vic-
toire. Alexandre Halot écrit que « pour supputer les chances de succès de
l’un ou de l’autre, nous n’avions guère comme base de comparaison que
l’étendue des deux pays. Aussi les journaux anglais, qui cependant sont gé-
néralement les mieux informés de ce qui se passe au loin, étaient les inter-
prètes du sentiment général en prévoyant le prompt écrasement du pauvre
9
petit Japon par le colosse chinois » . La grande taille des Chinois par rapport
à celle plus petite des Japonais, fait apercevoir leur pays à travers « un verre
diminuant ». Le Japon, quant à lui, en vingt ans, se dépouillant de sa civilisa-
tion propre, s’est modernisé en forgeant une armée équipée à l’européenne.
9 A. Halot, L’Extrême-Orient, Falk fils, 1905.
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l’Angleterre. Les conflits à venir vont donc se cristalliser dans ces régions du
monde. L’Angleterre, la Russie, l’Allemagne, la France et la Hollande y
possèdent déjà des comptoirs. Mais d’autres acteurs, dont certains pays
émergents considérés à tort comme mineurs, vont entrer en scène les armes à
la main, ouvrant de nouveaux champs de bataille pour une redistribution des
cartes. Les origines de ces affrontements qui inaugurent la naissance du péril
jaune sont à rechercher dans la guerre sino-japonaise de 1894-1895, et dans
l’intervention des grandes puissances européennes lors du règlement du con-
flit.
I. Une amusette à ranger avec les bibelots de Madame Chrysanthème ?
En 1894, à la suite d’une révolte en Corée, le Japon y débarque des troupes
qui marchent sur Séoul. Ce pays convoité pour ses richesses naturelles étant
sous la suzeraineté chinoise, le vice-roi du Petchili, Li-Hung-Chang qui re-
présente la Chine, expédie une escadre commandée par l’amiral Ting. En
fait, on s’inquiète davantage des rivalités anglo-russes dans la région que du
sort des deux belligérants, la Chine et le Japon étant considérés comme des
puissances négligeables. En effet, à la poussée du peuple russe qui déborde
sur l’Extrême-Orient, et à ses ambitions soutenues par une action métho-
dique, l’Angleterre oppose des ambitions et des forces similaires. La lutte
entre la baleine (l’Angleterre, puissance maritime) et l’ours (la Russie, puis-
sance continentale), qui s’est transposée du Bosphore en Afghanistan et au
Pamir, se déroule désormais sur l’immense Empire chinois. Le chemin de fer
devient un enjeu primordial, car il est l’indispensable vecteur de la pénétra-
tion commerciale. Au projet russe d’un Transsibérien de Moscou à Pékin
s’oppose le projet anglais d’une ligne joignant Calcutta à Shanghai. En 1894,
en se référant à l’étendue géographique considérable du Céleste Empire avec
ses 400 millions d’habitants par rapport à celle minuscule du Japon dix fois
moins peuplé, on se forge une idée fausse du plus apte à remporter la vic-
toire. Alexandre Halot écrit que « pour supputer les chances de succès de
l’un ou de l’autre, nous n’avions guère comme base de comparaison que
l’étendue des deux pays. Aussi les journaux anglais, qui cependant sont gé-
néralement les mieux informés de ce qui se passe au loin, étaient les inter-
prètes du sentiment général en prévoyant le prompt écrasement du pauvre
9
petit Japon par le colosse chinois » . La grande taille des Chinois par rapport
à celle plus petite des Japonais, fait apercevoir leur pays à travers « un verre
diminuant ». Le Japon, quant à lui, en vingt ans, se dépouillant de sa civilisa-
tion propre, s’est modernisé en forgeant une armée équipée à l’européenne.
9 A. Halot, L’Extrême-Orient, Falk fils, 1905.
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