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Revue de l’Institut du Monde et du Développement | 129
était colossale, celle du Japon une pure apparence, et que les Japonais n’étaient
qu’un ramassis de singes dégénérés dont la faiblesse congénitale momentané-
ment cachée par le vernis occidental serait révélée dès qu’ils oseraient se mesu-
rer avec un adversaire. Loti n’écrivait-il pas qu’il trouvait le Japon "petit, vieil-
lot, à bout de sang et de sève et qui va bientôt finir dans le grotesque et la bouf-
fonnerie pitoyable au contact des nouveautés d’Occident… Au moment de le
quitter, je ne puis trouver en moi-même qu’un sourire de moquerie légère pour
le grouillement de ce petit peuple à révérences, laborieux, industrieux, avide au
gain, entaché de mièvrerie constitutionnelle, de pacotille héréditaire et
d’incurable singerie." Et toute l’Europe avait pour le Japon les yeux de Loti. On
plaignait ce pauvre pays atteint du délire des grandeurs : on s’étonnait de sa
folle témérité : on prédisait son irrémédiable ruine : la Chine n’en ferait qu’une
13
bouchée » . Dans Madame Chrysantème, Loti insiste en effet sur l’aspect si-
miesque du Japonais à travers des images telles que : des vendeurs « accroupis à
la singe » ; des enfants avec « des minois de ouistiti » ; des mousmés ressem-
blant à des « guenons empanachées » ; des « gestes outrés » évoquant « mille
singeries » ; des hommes affichant « ces laideurs gaies de singes savants » ; des
« grimaces vieillottes » ayant « l’air singe » ; et où en vieillissant Madame
Chrysanthème deviendra « une vieille guenon ». On comprend pourquoi
l’image du Nippon figuré en singe est si présente dans la caricature de la Belle
Epoque. Rares sont ceux qui, en 1894, anticipent la victoire du Japon : « Im-
mobilisé dans la religion de Confucius, dans cette douce philosophie contem-
plative, qui est la conséquence de sa doctrine, paralysée par sa science des
lettres si aride et si compliquée ; hypnotisé par l’orgueil d’un passé historique
fabuleux : le Céleste-Empire représente, par rapport à la civilisation occiden-
tale, une expression négative dont l’Europe ne se préoccupe jamais. Mais ad-
vienne un grand événement, un grand désastre national – et le triomphe des
Japonais que les célestes méprisent souverainement, serait pour ceux-ci une
humiliation suprême – qui puisse secouer la léthargie chinoise, mettre en mou-
vement les forces inertes de cet immense pays… et la diplomatie européenne
ne pourra plus considérer la Chine comme la quantité négligeable dont parlait
14
M. Jules Ferry en 1883 » .
II. Le péril jaune selon Guillaume II
Sur terre et sur mer, contre toute attente, les victoires du Pays du Soleil le-
vant se succèdent. Le 21 novembre 1894, les Nippons s’emparent de Port-
13 E. Hovelaque, La Chine, Flamarion, 1920.
14 E. Thery, Le péril jaune, Gustave Ranschburg, Budapest, 1904, p. 29-30. L’auteur cite
des passages de L’Économiste Européen des 28 juillet et 4 août 1894 dans lesquels il
s’était exprimé.
RIMD – n o 3 – 2012
était colossale, celle du Japon une pure apparence, et que les Japonais n’étaient
qu’un ramassis de singes dégénérés dont la faiblesse congénitale momentané-
ment cachée par le vernis occidental serait révélée dès qu’ils oseraient se mesu-
rer avec un adversaire. Loti n’écrivait-il pas qu’il trouvait le Japon "petit, vieil-
lot, à bout de sang et de sève et qui va bientôt finir dans le grotesque et la bouf-
fonnerie pitoyable au contact des nouveautés d’Occident… Au moment de le
quitter, je ne puis trouver en moi-même qu’un sourire de moquerie légère pour
le grouillement de ce petit peuple à révérences, laborieux, industrieux, avide au
gain, entaché de mièvrerie constitutionnelle, de pacotille héréditaire et
d’incurable singerie." Et toute l’Europe avait pour le Japon les yeux de Loti. On
plaignait ce pauvre pays atteint du délire des grandeurs : on s’étonnait de sa
folle témérité : on prédisait son irrémédiable ruine : la Chine n’en ferait qu’une
13
bouchée » . Dans Madame Chrysantème, Loti insiste en effet sur l’aspect si-
miesque du Japonais à travers des images telles que : des vendeurs « accroupis à
la singe » ; des enfants avec « des minois de ouistiti » ; des mousmés ressem-
blant à des « guenons empanachées » ; des « gestes outrés » évoquant « mille
singeries » ; des hommes affichant « ces laideurs gaies de singes savants » ; des
« grimaces vieillottes » ayant « l’air singe » ; et où en vieillissant Madame
Chrysanthème deviendra « une vieille guenon ». On comprend pourquoi
l’image du Nippon figuré en singe est si présente dans la caricature de la Belle
Epoque. Rares sont ceux qui, en 1894, anticipent la victoire du Japon : « Im-
mobilisé dans la religion de Confucius, dans cette douce philosophie contem-
plative, qui est la conséquence de sa doctrine, paralysée par sa science des
lettres si aride et si compliquée ; hypnotisé par l’orgueil d’un passé historique
fabuleux : le Céleste-Empire représente, par rapport à la civilisation occiden-
tale, une expression négative dont l’Europe ne se préoccupe jamais. Mais ad-
vienne un grand événement, un grand désastre national – et le triomphe des
Japonais que les célestes méprisent souverainement, serait pour ceux-ci une
humiliation suprême – qui puisse secouer la léthargie chinoise, mettre en mou-
vement les forces inertes de cet immense pays… et la diplomatie européenne
ne pourra plus considérer la Chine comme la quantité négligeable dont parlait
14
M. Jules Ferry en 1883 » .
II. Le péril jaune selon Guillaume II
Sur terre et sur mer, contre toute attente, les victoires du Pays du Soleil le-
vant se succèdent. Le 21 novembre 1894, les Nippons s’emparent de Port-
13 E. Hovelaque, La Chine, Flamarion, 1920.
14 E. Thery, Le péril jaune, Gustave Ranschburg, Budapest, 1904, p. 29-30. L’auteur cite
des passages de L’Économiste Européen des 28 juillet et 4 août 1894 dans lesquels il
s’était exprimé.
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