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134 | Le péril jaune est en nous

l’histoire de la Chine ». Bülow tente d’empêcher la diffusion de ce discours,
mais un journal parvient à s’en procurer la version complète, et le monde en
a ainsi connaissance. Jaurès écrit dans L’Humanité qu’en « Allemagne,
l’empereur semble perdre son sang-froid. Les sauvages conseils
d’extermination qu’il a donnés à ses troupes partant pour la Chine attestent
que la conscience européenne peut subir de soudaines éclipses et participer à
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la barbarie qu’elle prétend châtier » . Il dénonce aussi les rivalités entre les
puissances européennes « livrées aux pires suggestions de la convoitise et de
la haine », et exprime sa vision du péril jaune qu’il entrevoit comme un
mouvement d’ensemble de toute l’Asie contre l’Europe : « C’est d’une crise
profonde qu’est menacée la vie européenne. L’expédition de Chine semble
rouvrir l’ère des luttes épiques de continent à continent. Rien ne démontre
que l’Europe aura affaire seulement à la Chine ; c’est peut-être l’Asie tout
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entière qui, un jour prochain, s’ébranlera » . Cette vision d’un conflit armé
entre Blancs et Jaunes correspond à celle décrite par Guillaume II dans son
fameux tableau. Le Kaiser fournit également un nouveau cliché très efficace
à ses détracteurs pour illustrer le péril allemand : l’image du Hun germanique
commandé par Guillaume-Attila que l’on retrouve dans la caricature de la
Grande Guerre.


V. On admire les Japonais pour leur courage

Le 26 juin 1900, lorsque la colonne Seymour rentre dans les concessions de
Tien-Tsin encadrée par les troupes de renfort l’ayant dégagée, un témoin
raconte qu’on « ne peut s’empêcher d’admirer les Japonais qui, malgré la
pénible expédition qu’ils viennent d’accomplir, joignent à leur allure crâne et
décidée une propreté surprenante. Ils ont plutôt l’apparence d’une troupe
revenant d’une inspection que d’hommes effectuant une retraite. Malgré le
surmenage des jours précédents, leurs officiers les ont fait lever dès l’aube
afin qu’ils puissent nettoyer leurs vêtements, leurs fourniments et faire ainsi
bonne figure ». Dans la caricature, c’est sous le regard admiratif des grandes
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puissances qu’ils affrontent seuls le terrible dragon chinois . Sur le terrain,
on les admire pour leur courage : « souriant ou grimaçant, on ne sait pas au
juste », dans les moments les plus dangereux, ils tirent « sans interruption
avec leurs gestes mignards et appliqués, sans montrer plus d’énervement
qu’au tir à la cible ». On dirait « des enfants costumés en soldats, enchantés
de jouer à la petite guerre. Et pourtant ces enfants, auxquels l’Europe saisie
d’admiration décernera bientôt le prix de valeur militaire, commencent déjà à

21 M. Auclair, Jean Jaurès, Club des Éditeurs, p. 194.
22 M. Auclair, op. cit., p. 193.
23 Chromolithographie, Bruno Bürger n 6310, Leipzig, vers 1900.
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