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18 | Repenser le développement en Amérique latine

et 1990 qui sont poursuivies, appelées aujourd’hui « lutte contre la pauvreté ».
Mais en même temps, le développement économique aussi bien que l’économie
du développement sont oubliés, tout comme le développement social sous forme
de protection sociale et de respect des droits humains. La libéralisation des
échanges, les équilibres macro-économiques, les privatisations et les dérégula-
tions sont aujourd’hui promus au nom des pauvres. Les dépenses publiques doi-
vent être réorientées et l’argent doit aller « vers ceux qui en ont réellement be-
soin ». La sécurité sociale n’est pas, selon la Banque mondiale, une responsabi-
lité de l’État. Une autre marque du désintérêt réel des pauvres est le glissement
progressif de l’éradication de la pauvreté à la réduction de la pauvreté et finale-
ment à la diminution de moitié de la pauvreté extrême… À chaque fois, le niveau
d’ambition des pays riches semble baisser.

VI. Transformation productive avec équité sociale


Comment l’Amérique latine a-t-elle réagi à ce glissement conceptuel ?
L’Amérique latine n’avait pas attendu la Banque mondiale pour s’intéresser à la
pauvreté. Les premières études de la CEPAL datent de la fin des années 1970 et
la publication annuelle d’un Panorama social fournit des données détaillées et
des réflexions sur l’évolution de la situation sociale dans le sous-continent. La
notion de pauvreté utilisée par la CEPAL a aussi une base scientifique nettement
plus solide que celle de la Banque mondiale. Elle utilise une définition très
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large qui permet trois mesures différentes (pauvreté absolue, l’indigence et
pauvreté relative) et qui distingue la pauvreté structurelle de la pauvreté con-
joncturelle et de la pauvreté culturelle. Le seuil de pauvreté avec lequel travaille
la CEPAL est aussi plus complexe que celui de la Banque mondiale dans la me-
sure où il correspond à une norme de satisfaction des besoins essentiels, une
norme culturelle plus que physiologique. Ces critères donnent par ailleurs des
résultats assez divergents par rapport à ceux de la Banque mondiale.
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Suite à la publication du document de base sur la transformation productive , la
CEPAL publie différents documents sur des politiques sectorielles, notamment
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aussi sur l’équité sociale . L’équité se réfère à trois éléments : l’intégration de
tous les groupes marginalisés aux secteurs à productivité croissante, une réduc-
tion des inégalités de revenu et un meilleur accès aux biens et services essentiels.
Au niveau des politiques sociales, l’équité sociale est une condition du dévelop-
pement intégré et durable et elle se traduit, à long terme, par une politique axée
sur les pauvres et sur une distribution des opportunités plus que des revenus. Au
niveau des politiques économiques, l’équité sociale est une condition du déve-
loppement et elle se traduit, à court terme, par des mesures pour augmenter la

25 O. Altimir, La dimensión de la pobreza en América latina, Santiago de Chile, Naciones Unidas,
1979.
26 Voir supra, CEPAL, 1990, op. cit.
27 CEPAL, 1992, op. cit.

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