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Revue de l’Institut du Monde et du Développement | 23
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troversés . Si la crise écologique peut nous imposer une réflexion sur les rela-
tions entre l’homme et la nature, d’autres dimensions de la « modernité » sont
plus difficiles à rejeter. Il suffit de penser à l’idée de notre humanité commune, à
l’égalité, à l’émancipation, au changement, aux droits individuels… Si la moder-
nité peut être dénoncée pour avoir provoqué des dégâts importants, notamment
par les colonisations et l’esclavage – encore faudra-t-il démontrer que ces faits
historiques sont propres à la modernité –, ce ne sont pas nécessairement toutes
ses valeurs qui doivent subir le même sort. De plus, un concept n’est pas la réali-
té : le propre de la modernité est justement le refus des déterminismes.
La pensée actuelle du postdéveloppement en Amérique latine fait souvent
l’amalgame de toute une série de phénomènes – modernité, eurocentrisme, colo-
nialité, esclavage… – qui ne sont pas nécessairement liés, même si leur existence
réelle ne peut être niée.
VIII. Les perspectives
Il est clair que la pensée sur le développement ne peut être dissociée des circons-
tances politiques, économiques et sociales dans lesquelles elle se manifeste.
Comme la Première Guerre mondiale et la crise des années 1930 ont donné lieu
au structuralisme, la révolution cubaine, la vague des mouvements révolution-
naires dans les années 1960, les dictatures militaires et la crise de la dette exté-
rieure des années 1980 ont également considérablement influencé l’évolution des
idées sur le développement.
L’Amérique latine a toujours développé une pensée propre au sous-continent,
tenant compte de ses caractéristiques et de ses besoins spécifiques. Même si la
CEPAL n’a jamais ouvertement été opposée aux politiques proposées par les
institutions de Bretton Woods, elle les a toujours intégrées à sa pensée structura-
liste et leur a donné de cette façon une signification différente. Dans le discours
de la CEPAL, le développement n’est pas dilué dans un discours sur la lutte
contre la pauvreté, mais il continue d’être un projet de modernisation et de chan-
gement des structures économiques et sociales. L’hétérogénéité productive con-
tinue d’être l’obstacle majeur au développement de sociétés plus égalitaires. Les
États continuent de jouer un rôle central bien que différent de celui du passé.
S’ils ne doivent plus être en charge d’activités de production, ils doivent toujours
promouvoir l’intégration sociale, l’équité sociale et le plein exercice de la ci-
toyenneté.
e
Les régimes progressistes arrivés au pouvoir au début du XXI siècle nous invi-
tent plus directement à repenser le développement ainsi qu’à repenser le socia-
lisme. Sans doute inspirés par les échecs des socialismes réellement existants, les
présidents du Vénézuela, de la Bolivie et de l’Équateur expérimentent avec des
34 A. Quijano, « Coloniality and Modernity/Rationality », Cultural Studies, march 2007.
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troversés . Si la crise écologique peut nous imposer une réflexion sur les rela-
tions entre l’homme et la nature, d’autres dimensions de la « modernité » sont
plus difficiles à rejeter. Il suffit de penser à l’idée de notre humanité commune, à
l’égalité, à l’émancipation, au changement, aux droits individuels… Si la moder-
nité peut être dénoncée pour avoir provoqué des dégâts importants, notamment
par les colonisations et l’esclavage – encore faudra-t-il démontrer que ces faits
historiques sont propres à la modernité –, ce ne sont pas nécessairement toutes
ses valeurs qui doivent subir le même sort. De plus, un concept n’est pas la réali-
té : le propre de la modernité est justement le refus des déterminismes.
La pensée actuelle du postdéveloppement en Amérique latine fait souvent
l’amalgame de toute une série de phénomènes – modernité, eurocentrisme, colo-
nialité, esclavage… – qui ne sont pas nécessairement liés, même si leur existence
réelle ne peut être niée.
VIII. Les perspectives
Il est clair que la pensée sur le développement ne peut être dissociée des circons-
tances politiques, économiques et sociales dans lesquelles elle se manifeste.
Comme la Première Guerre mondiale et la crise des années 1930 ont donné lieu
au structuralisme, la révolution cubaine, la vague des mouvements révolution-
naires dans les années 1960, les dictatures militaires et la crise de la dette exté-
rieure des années 1980 ont également considérablement influencé l’évolution des
idées sur le développement.
L’Amérique latine a toujours développé une pensée propre au sous-continent,
tenant compte de ses caractéristiques et de ses besoins spécifiques. Même si la
CEPAL n’a jamais ouvertement été opposée aux politiques proposées par les
institutions de Bretton Woods, elle les a toujours intégrées à sa pensée structura-
liste et leur a donné de cette façon une signification différente. Dans le discours
de la CEPAL, le développement n’est pas dilué dans un discours sur la lutte
contre la pauvreté, mais il continue d’être un projet de modernisation et de chan-
gement des structures économiques et sociales. L’hétérogénéité productive con-
tinue d’être l’obstacle majeur au développement de sociétés plus égalitaires. Les
États continuent de jouer un rôle central bien que différent de celui du passé.
S’ils ne doivent plus être en charge d’activités de production, ils doivent toujours
promouvoir l’intégration sociale, l’équité sociale et le plein exercice de la ci-
toyenneté.
e
Les régimes progressistes arrivés au pouvoir au début du XXI siècle nous invi-
tent plus directement à repenser le développement ainsi qu’à repenser le socia-
lisme. Sans doute inspirés par les échecs des socialismes réellement existants, les
présidents du Vénézuela, de la Bolivie et de l’Équateur expérimentent avec des
34 A. Quijano, « Coloniality and Modernity/Rationality », Cultural Studies, march 2007.
RIMD – n o 2 – 2011