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72 | Les collectivités locales, acteurs de développement ?

l’usage de la contrainte pour les collecter. Le financement est par conséquent
attendu de l’extérieur.
Dans ce contexte, le rôle de l’anthropologue est hautement complexe. Il est diffi-
cile de comprendre les cultures locales de l’intérieur et d’échapper aux automa-
tismes et projections des solutions issues d’une autre culture. Complexe, mais
pas impossible. D’où la nécessité de mener des recherches et diriger le débat sur
ces questions.

II. Y a-t-il une vision de l’intérêt général ?

La deuxième condition est la forte implication et l’action des collectivités territo-
riales en faveur de l’intérêt général, fût-ce au niveau local, sans pour autant
perdre de vue les autres niveaux : régional, national, et, dans le cas de la France,
européen.
Une telle orientation vers l’intérêt général est-elle observable en France et en
Europe ? Sans rien généraliser, nos recherches sur la décentralisation en Île de
France entre 2007 et 2009, et notre participation à des instances de concertation
des élus locaux avec la société civile, dévoilent un obstacle de taille :
l’individualisme et l’emprise des intérêts particuliers du côté des citoyens ainsi
que du côté des élus locaux.
À l’image des hommes d’État, les élus locaux sont souvent guidés par leurs inté-
rêts particuliers, électoraux et financiers. Le souci principal étant de se faire
réélire, l’intérêt de la commune est subordonné au premier. Cela explique les
réseaux clientélistes qui fleurissent, justement à cause de la proximité. À l’image
des entreprises, la concurrence entre élus, entre communes et régions, entre col-
lectivités territoriales et État fait partie du quotidien des collectivités territoriales,
alors même que la nécessité de la coopération est largement ressentie.
Le débat public sur les finalités de la décentralisation et les moyens de les mettre
en œuvre est faible. Comme dans d’autres domaines, la décentralisation est natu-
ralisée et peu problématisée. « La décentralisation, c’est bien », nous dit avec
humour une responsable administrative de la région Île-de-France, pour souli-
5
gner l’indigence de la réflexion . Il en va de même pour la coopération décentra-
lisée, qui a été mise en place avec les mêmes automatismes que les politiques de
l’aide nationales et internationales.
À la faiblesse des politiques orientées vers l’intérêt général, fait face l’absence
des préoccupations de cet ordre au sein des citoyens. Les élus admettent en privé
leur perplexité face au délitement du lien social, l’affaiblissement des valeurs, les
conflits entre individus et la focalisation de ces derniers sur leurs intérêts stric-
tement particuliers. Les collectifs qu’on peut observer sont morcelés, guidés par
des objectifs particuliers et en concurrence les uns avec les autres. Dans ce con-


5 Cf. S. Mappa « L’individu et le collectif à l’heure de la participation de la société civile. Une
analyse comparée » in S. Mappa (sous la dir.) Les impensés de la gouvernance, op.cit.

RIMD – n o 2 – 2011
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