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Revue de l’Institut du Monde et du Développement | 11

condamner l’Amérique latine à un développement vers l’extérieur avec pour
corollaire inévitable un chômage chronique – parce que ni le secteur traditionnel
ni le secteur industriel trop peu développé ne peuvent absorber l’excédent de
main d’œuvre –, un retard de progrès technologique, une progression plus lente
du revenu moyen – perpétuant l’hétérogénéité – et une tendance naturelle à
l’inégalité croissante.
Par conséquent, Prebisch proposa de favoriser le développement par une planifi-
cation industrielle, l’amélioration de la productivité du travail et une certaine
mesure de protectionnisme. Concrètement, il proposa des arrangements préfé-
rentiels et une intégration économique de l’Amérique latine. Cette stratégie sem-
bla d’autant plus justifiée que l’asymétrie constatée entre le centre et la périphé-
rie ne peut que se reproduire sous l’effet de la division internationale du travail.
En effet, aux yeux de Prebisch, la théorie néo-classique des avantages mutuels
du commerce international et de ses effets égalisants sur les prix et les revenus
n’est pas valable en Amérique latine. Depuis 1870, constata-t-il, les termes de
l’échange se détériorent pour l’Amérique latine avec des conséquences inévi-
tables au niveau de son pouvoir d’achat et de sa capacité d’importation.
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Cette thèse, connue sous le nom de Prebisch-Singer est liée aux différences en
termes d’élasticité de la demande. Concrètement, les importations du centre de
produits de base en provenance de la périphérie n’augmentent pas autant que le
revenu national, tandis que les importations de la périphérie de produits en pro-
venance du centre augmentent plus vite que son revenu. De plus, du côté de
l’offre, les cycles conjoncturels qui caractérisent le système capitaliste jouent en
faveur du centre et sont défavorables à la périphérie. Ceci est expliqué par les
prix et les salaires qui ne connaissent pas la même évolution dans le centre et
dans la périphérie pendant les différentes phases conjoncturelles. En effet, les
salaires augmentent beaucoup plus vite dans le centre pendant une phase ascen-
dante que dans la périphérie où le surplus de main d’œuvre empêche
l’augmentation des salaires. Pendant les phases descendantes, les syndicats des
pays du centre sont en mesure de maintenir les salaires à niveau, ce qui n’est pas
le cas dans les pays de la périphérie. Tout ceci mène Prebisch à souligner la
distribution inégale des bénéfices du commerce international, sans pour autant
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conclure à la nécessité d’une déconnexion, comme le fera plus tard Samir Amin .
Ce que veut avant tout Prebisch est un changement des structures productives de
la périphérie en développant un secteur industriel la rendant moins dépendante
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du centre .
Cette approche, tout comme le débat sur l’inflation, a donné son nom au courant
structuraliste. Il est important de le rappeler dans la mesure où il préfigure les

3 L’économiste P. Singer, fonctionnaire des Nations unies à New York était arrivé à la même
conclusion, indépendamment du travail de Prebisch.
4 Amin, S., Delinking. Towards a Polycentric World, London, Zed Books, 1985.
5 C. Kay, Latin American Theories of Development and Underdevelopment, London, Routledge,
1989.

RIMD – n o 2 – 2011
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