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10 | Repenser le développement en Amérique latine

nale prises au sein des institutions de Bretton Woods ou au sein des Nations
unies (ONU). C’est pourquoi ils prirent conscience de la nécessité de devenir des
« pays industrialisés » et donc de se développer économiquement afin de pouvoir
codécider avec « les grands » sur la scène mondiale. Ils comprirent qu’on ne peut
avoir de pouvoir politique si on n’a pas de pouvoir économique…

I. L’industrialisation de substitution à l’importation

On ne peut expliquer l’influence de l’Amérique latine sur la pensée sur le déve-
loppement sans faire référence au rôle joué par Raúl Prebisch, ancien Directeur
de la banque centrale argentine, premier Secrétaire exécutif de la Commission
économique de l’ONU pour l’Amérique latine (CEPAL) et premier Secrétaire
général de la nouvelle Conférence des Nations unies sur le Commerce et le Dé-
veloppement (CNUCED) à partir de 1965.
Prebisch avait commencé à développer sa pensée développementaliste à l’issue
de la Première Guerre mondiale et de la crise des années 1930. Dans le premier
cas, les États d’Amérique latine avaient accumulé des capitaux suite à la de-
mande importante de matières premières de la part des États en guerre. Mais la
production de ceux-ci étant orientée entièrement vers la production de guerre, ils
ne pouvaient satisfaire la demande des pays latino-américains pour des produits
industriels. Pendant la crise des années 1930, la situation s’était inversée. Les
pays d’Amérique latine ne trouvaient plus d’acheteurs de leurs matières pre-
mières dans les États frappés par la crise et les moyens financiers leur man-
quaient pour acheter des produits industriels.
Ce constat amena Prebisch à promouvoir un développement vers l’intérieur, basé
sur les concepts clés de centre et de périphérie. Prebisch constata une inégalité en
termes de progrès technologique entre, d’une part, les producteurs et exportateurs
de produits manufacturés, tous dans les pays riches, et, d’autre part, les produc-
teurs et exportateurs de produits de base, tous dans le « Tiers Monde ». Il consta-
ta que le centre industrialisé organise le système en fonction de ses propres inté-
rêts en ne développant ses relations avec la périphérie non industrialisée qu’en
fonction de leurs besoins en ressources naturelles. N’oublions pas à ce propos
que, pendant la colonisation, les territoires colonisés n’étaient pas autorisés à
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s’industrialiser et que les États colonisateurs avaient un monopole sur le com-
merce. La conséquence en est que le progrès technologique de la périphérie est
concentré dans les secteurs d’exportation, ce qui mène à une structure de produc-
tion hétérogène et spécialisée, laissant la majorité de la population en marge du
développement. Le centre, par contre, est caractérisé par une structure de produc-
tivité homogène et diversifiée. Cette division internationale du travail semble

Keynes parla du « most monstrous monkey-house assembled for years », cité par G. Meier. D. Seers,
Pioneers in Development, Oxford, Oxford University Press, 1984, p. 9.
2 « The colonies should not be permitted to manufacture so much as a horseshoe nail » (W. Pitt the
Elder), cité par Chang, Ha-Joon, Kicking away the Ladder, London, Anthem Press, 2002, p. 51.

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